Du 25 au 27 septembre 2015, l’Assemblée générale des Nations Unies doit adopter les nouveaux Objectifs de développement durable (ODD). Un cadre international destiné à mobiliser les efforts de tous les pays pour rendre la planète durable et équitable avant 2030. Un programme plus qu’ambitieux.
Un monde sans pauvreté, sans inégalités et durable d’ici quinze ans. C’est, en résumé, la promesse idyllique des Objectifs de développement durable (ODD), qui devraient être adoptés entre les 25 et 27 septembre 2015 par les Nations Unies. Il s’agit là d’une nouvelle feuille de route pour les États membres destinée à remplacer les huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), qui prendront fin cette année. Les OMD ont été instaurés en 2000 dans le but de concentrer l’effort de l’aide internationale sur quelques points clés, comme la réduction de la pauvreté, l’accès à l’éducation ou le combat contre le VIH/Sida.
Alors que les OMD avaient été élaborés par l’OCDE et adoptés en catimini, le processus a cette fois été élargi. Ainsi, 70 pays se sont partagé 30 sièges au sein du Groupe de travail ouvert (GTO) chargé de définir les ODD. Et des consultations nationales ont été organisées auprès de la société civile, des citoyens, des universitaires et du secteur privé. Une enquête publique a également été menée, à laquelle plus de sept millions de personnes ont participé. Après un long processus, lancé depuis juin 2012 lors de la conférence internationale de Rio+20, le GTO a rendu son programme en août 2014.
17 objectifs, 169 cibles
Bien qu’en 2012, l’ONU préconisait que les futurs objectifs soient “ambitieux“, mais “concis“, “faciles à comprendre” et “limités en nombre“, le GTO s’est arrêté sur 17 ODD, accompagnés de 169 cibles. En comparaison, les OMD se limitaient à 8 objectifs et 21 cibles. La principale nouveauté réside dans le fait que contrairement aux OMD, qui s’apparentaient à un agenda planifié par les pays du Nord pour le Sud, les ODD s’appliqueront à tous les pays. Ils ont en effet vocation à être universels sur le plan géographique, mais aussi thématique.
Ainsi, de nouveaux enjeux apparaissent, notamment l’environnement, auparavant uniquement abordé à travers l’OMD numéro sept, qui prend une place primordiale et transversale. Des changements d’ordre sémantique confirment le caractère plus ambitieux du projet: il n’est plus question de réduire la pauvreté, mais de l’éradiquer. Des thèmes comme le changement climatique, la sécurité ou la stabilité financière font aussi leur apparition. En somme, les ODD visent à prendre en compte les trois piliers du développement durable: le social, l’économique et l’environnement. Avec pour objectif final “de permettre à chacun de vivre dans la dignité d’ici 15 ans“, expliquait le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon, dans son rapport de synthèse [pdf] sur le programme post-2015.
OMD, l’heure du bilan
Avec une telle perspective, il est, certes, difficile de remettre en cause le caractère ambitieux du projet. Reste que, de l’ambition à la réalisation, il y a un gouffre… Quelles sont les évolutions positives obtenues grâce aux OMD? Selon le dernier rapport [pdf] d’évaluation de l’ONU, plusieurs objectifs ont été atteints: réduction de la pauvreté de moitié dans le monde, amélioration de l’accès à l’eau potable, des conditions de vie des habitants des bidonvilles et parité des sexes dans l’enseignement primaire. En réalité, les résultats généraux sont beaucoup plus mitigés.
“Il est intéressant d’analyser les OMD à travers leurs OMD ‘jumeaux’, note Matthieu Boussichas, chercheur à l’institut Ferdi sur le développement de l’aide l’internationale. En 2010, l’ONU a célébré le fait d’avoir atteint l’OMD numéro sept qui concernait le doublement de la population ayant accès à l’eau. Cependant, l’objectif corollaire sur l’accès au système d’assainissement n’a pas du tout été atteint. Le constat est le même entre la réduction de la pauvreté et l’objectif de réduire le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde, qui n’a pas été réalisé.” De plus, les systèmes de mesure sont aussi critiqués: les objectifs ont bien souvent été évalués à travers des indicateurs quantitatifs et non qualitatifs.
L’ONU elle-même fait état de lacunes en matière d’accès élargi des pays les plus pauvres à l’aide, au commerce, à l’allégement de la dette, aux médicaments essentiels et aux technologies. L’une des limites majeures est donc que les progrès réalisés sont très inégaux entre les régions du globe. Car, si l’on peut se féliciter de la réduction de moitié de la pauvreté dans le monde, ces statistiques sont en partie alimentées par l’essor économique des pays émergents, notamment la Chine. Ainsi, des régions restent particulièrement en retard, comme l’Afrique subsaharienne. En conséquence, d’ici la fin 2015, les pays les plus pauvres le resteront.
Toutefois, malgré ces résultats en demi-teinte, les OMD sont reconnus pour avoir contribué à la structuration des politiques de développement international. Notamment en mobilisant autour d’objectifs communs les bailleurs de fonds internationaux, les ONG, ainsi que les acteurs publics et privés.
Une dilution des priorités
Les ODD ont donc pour mission de poursuivre les efforts, tout en les intensifiant. Mais alors qu’ils n’ont pas encore été adoptés, ces derniers font déjà débat. D’abord, parce que la grande variété des thématiques ciblées est questionnable. “Le problème avec
les ODD, c’est qu’on ne voit pas quels problèmes ils ne sont pas censés résoudre sur terre… C’est une liste très consensuelle“, s’amuse Tancrède Voituriez, directeur de programme à l’Institut du développement durable et des relations internationales(Iddri).
Tandis que les OMD étaient centrés sur quelques objectifs à caractère social bien identifiés, les ODD s’apparentent à un inventaire à la Prévert. “Le risque, c’est de réduire la priorité donnée aux problématiques fondamentales du développement, qui faisaient l’ADN même des OMD, que sont la pauvreté, la nutrition, l’éducation, etc. Et ainsi de diminuer l’allocation des ressources aux pays qui pouvaient difficilement s’en sortir sans l’aide, au profit de problématiques plus globales“, note Matthieu Boussichas.
“Il faut se concentrer sur la façon dont nous allons mettre en œuvre les ODD”
Ensuite, parce qu’avec 169 cibles, chapeautées par 17 ODD, on peut craindre que les États appliquent seulement les objectifs qui les arrangent. Si tout est une priorité, plus rien ne l’est vraiment… La solution consisterait alors à rationaliser l’agenda, en hiérarchisant les objectifs en fonction de leur importance. Car, malgré la demande
de certains États, comme l’Angleterre, de revoir le contenu des ODD à la baisse, celle-ci a très peu de chance d’aboutir. Après deux ans de consultation multipartite, le débat n’est plus là. “Aujourd’hui, il faut se concentrer sur la façon dont nous allons mettre en œuvre les ODD pour qu’ils soient les plus transformatifs possible“, note Pascale Quivy, déléguée générale du Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid) et vice-présidente de Coordination Sud.
Depuis 2012, les ONG sont très actives sur ce sujet et se sont réunies au sein de différentes coalitions: le Fip, Beyond 2015 et Action mondiale contre la pauvreté. Ces plateformes travaillent de concert pour influencer le cadre d’application des ODD. Notamment pour que les populations les plus vulnérables ne soient pas laissées de côté et qu’aucun objectif ne soit considéré comme atteint, tant qu’il ne l’a pas été pour tous.