Pour Erik Solheim, président du Comité d’aide au développement de l’OCDE, les conditions de réussite des Objectifs de développement durable (ODD) sont liées au volontarisme des gouvernements.
Erik Solheim est également ancien ministre norvégien de l’Environnement et du Développement international.
Youphil.com: Le programme des ODD est très ambitieux, pensez-vous qu’il soit réalisable?
Erik Solheim: Tout à fait. En 20 ans, la pauvreté a été réduite de moitié dans le monde et nous sommes la première génération de l’histoire à disposer des connaissances nécessaires pour éradiquer totalement l’extrême pauvreté. Cependant, les Objectifs de développement durable ne peuvent être atteints que s’il existe une vraie volonté politique. Nous pouvons tirer des leçons des réussites du passé.
La Corée du Sud, par exemple, est devenue, en seulement deux générations, l’un des pays les plus riches grâce à des politiques d’éducation et d’industrialisation bien menées. Aujourd’hui, les Coréens sont 390 fois plus riches que leurs grands-parents. L’Éthiopie a, quant à elle, réduit le taux de mortalité infantile de deux tiers depuis 1990, en déployant des professionnels de santé à travers le pays. La volonté des dirigeants est donc un élément essentiel.
Quelles sont les conditions nécessaires à la réussite des ODD?
Trois critères sont indispensables: les politiques publiques, l’argent et le leadership. Toutes les grandes réussites du développement reposent sur les capacités des dirigeants à prendre les bonnes décisions. Ce n’est pas l’argent, par exemple, qui explique pourquoi les élèves vietnamiens sont plus performants à l’école que les jeunes de certains pays riches de l’OCDE, comme la France ou la Norvège.
Toutefois, tout le monde doit participer.
Nous avons besoin de plus de coalitions qui permettent de répondre aux différents enjeux du développement durable. C’est d’ailleurs ce que propose le Partenariat mondial pour une coopération effective au service du développement, qui vise à coordonner l’efficacité de l’aide en rassemblant les gouvernements, mais aussi la société civile et le secteur privé.
Comment financer alors un tel programme?
Nous avons besoin à la fois de plus d’aide au développement, d’investissements privés et de ressources domestiques. Ces sources de financement sont complémentaires et non subsidiaires. L’aide publique au développement (APD) n’est pas la source de financement la plus importante: les investissements directs à l’étranger (IDE) peuvent être cinq fois plus performants.
L’aide reste toutefois indispensable pour les pays les plus pauvres, afin de réduire les risques et d’attirer davantage les investissements privés dans certains secteurs, comme les énergies durables. Elle peut aussi servir à améliorer les ressources domestiques des pays à travers leur système fiscal: les taxes sont la solution la plus efficace pour financer des secteurs comme la santé ou l’éducation. Ainsi, aux Philippines, 500.000 dollars d’aide suffiraient à engager une réforme du système fiscal qui lui ferait gagner près d’un milliard de dollars en impôts.
Par ailleurs, nous devons stopper les flux financiers illicites. L’Afrique perd plus d’argent que ce qu’elle reçoit en aides et investissements, à cause de l’évasion fiscale et de la corruption. Aussi, de nombreux pays en développement dépensent plus d’argent pour subventionner les énergies fossiles que pour la santé ou l’éducation. En Indonésie, par exemple, les dispositions annoncées par le président Jokowi pour réduire les subventions aux carburants vont permettre d’économiser plus d’argent que le montant de l’aide publique au développement française. Enfin, les nouveaux mécanismes de financement doivent être encouragés.
Peut-on toutefois compter sur l’APD, alors même que la plupart des pays n’arrivent pas à atteindre l’objectif de consacrer 0,7% de leur RNB à l’APD?
L’aide publique au développement a jusque-là été un grand succès. Elle a enregistré, l’année dernière, un record de 117 milliards d’euros. Le Royaume-Uni a quant à lui atteint pour la première fois, en 2014, l’objectif de consacrer 0,7% de son RNB à l’APD. Si les Anglais en sont capables, tout le monde en est capable! Tout dépend de la détermination politique. C’est aussi le rôle de l’opinion publique de rappeler aux gouvernements leurs responsabilités et de voter pour les hommes politiques qui veulent faire les bons choix.
Par ailleurs, de nouveaux pays apparaissent sur le front de l’aide. Certains sont même à la fois bénéficiaires et donateurs, comme le Brésil, l’Inde ou l’Indonésie. La Turquie, par exemple, est un pays bénéficiaire, mais fournit pourtant plus d’aide que la moyenne générale des pays de l’OCDE. La Chine est également devenue un donateur majeur.
L’OCDE compte-t-elle développer de nouveaux outils pour contribuer à atteindre ces ODD?
Les pays sont responsables de leur propre développement. L’aide et les investissements ne doivent servir que de support pour mettre en œuvre les priorités des gouvernements. Toutefois, ces pays ont besoin de connaître les montants des différentes sources de financement dont ils peuvent disposer. L’OCDE est donc en train de développer de nouveaux outils statistiques pour identifier et quantifier les montants de l’ensemble des sources de financements disponibles. Nous avons également réformé la définition de l’aide publique au développement l’année dernière.
Désormais, les pays pauvres peuvent avoir accès à des prêts plus souples afin d’éviter de nouvelles crises de la dette. Enfin, actuellement, nous travaillons sur une nouvelle méthode de calcul des financements: l’indicateur de “soutien public total au développement”. Celui-ci permettra d’englober plus largement d’autres dépenses, telles que le financement des opérations militaires pour le maintien de la paix et de la sécurité.