Depuis 2011, Nespresso s’est lancé dans la reconstruction d’une filière café au Soudan du Sud. Un projet qui allie production d’un café d’exception et développement solidaire.
L’idée est venue de George Clooney, fervent défenseur de la cause du Soudan du Sud depuis la création du jeune pays, en 2011. C’est l’acteur américain qui a pointé au numéro un mondial du café portionné, auquel il prête son image, la qualité hors norme de la production sud-soudanaise.
“Il a stimulé notre intérêt“, raconte Daniel Weston, directeur de la création de la valeur partagée chez Nespresso. “Notre expert café s’est donc rendu sur place et il a effectivement trouvé quelque chose d’exceptionnel: un robusta qui n’existe nulle part ailleurs, aux arômes uniques, avec un patrimoine génétique spécifique”.
Après quarante ans de guerre civile, la production est alors en friche, les fermiers ont abandonné la majorité des exploitations, mais le pays possède une grande tradition de culture du café, et la filière peut-être relancée. La valeur intrinsèque du produit justifie la mise en place d’un programme spécifique. Introduite sur le marché le 7 octobre 2015, la capsule Suluja ti South Soudan marque pour le pays la toute première exportation, de produits non pétroliers, depuis plus d’une génération. Un défi commercial, dans un état en reconstruction.
Un intérêt avant tout économique
Pour Daniel Weston, il n’y a pas d’ambiguïté: l’intérêt est fondamentalement économique. “Nous sommes une entreprise de café, notre volonté est donc de partager un produit d’exception avec le consommateur. Le Soudan du Sud produit un café extraordinaire, c’est pourquoi nous sommes persuadés de saisir une opportunité économique avec cette marchandise. Le retour sur investissement sera peut-être un peu plus long que pour d’autres projets, mais à terme, nous ambitionnons de gagner de l’argent”.
Les petits producteurs sont partie prenante de la démarche: c’est en les incitant à relancer leurs exploitations et à améliorer constamment la qualité du produit que l’entreprise pourra consolider une industrie sur place. Pour l’heure, l’aventure est loin d’être rentable. Mais le programme a été construit sur une période de dix ans. Aucun esprit de charité derrière, plutôt une “stratégie de création de valeur“. Nespresso mise sur l’impact social de ce renouveau au sein des communautés pour créer à terme une véritable filière et sécuriser ses approvisionnements. Ce programme conjugue ainsi intérêt économique d’une entreprise et perspectives de développement. Le géant achète la rareté et vend l’authenticité, tout en écrivant le récit du “grand voyage de renaissance du café sud soudanais”.
Reconstruction de la filière
Pour mener à bien son projet, Nespresso, filiale de Nestlé s’est appuyée sur un partenaire de terrain. L’organisation à but non lucratif TechnoServe, se charge de la mise en œuvre. Sa mission consiste à développer des solutions commerciales et à ouvrir des marchés aux communautés locales, dans un but de lutte contre la pauvreté par l’approche économique. Les associés se connaissent bien: Nespresso et TechnoServe ont déjà travaillé ensemble en Colombie il y a 9 ans, puis au Kenya et en Ethiopie. “Leur approche est particulièrement adaptée aux petits propriétaires, sur des lots inférieurs à deux hectares, et ils ont une excellente connaissance de l’Afrique et des terrains difficiles”, pointe Daniel Weston.
L’expérimentation a débuté dans la province de Yei, au sud du pays, où subsistaient quelques fermes à café. Sur le terrain, le processus, qui consiste à convaincre les producteurs d’adopter de nouvelles méthodes pour créer de la valeur ajoutée, est long. Menées d’abord auprès d’un petit groupe, les innovations doivent d’abord démontrer leurs effets positifs à une petite échelle, pour ensuite fédérer plus largement, par un effet boule de neige. Le programme a donc débuté en 2013 avec 300 planteurs et 14 salariés de l’ONG déployés dans la zone. En tant qu’intermédiaire, la première mission de TechnoServe est d’organiser les fermiers en coopérative, et de former ceux qui souhaitaient rejoindre le projet. Les modules portent sur les bonnes pratiques en agronomie, l’amélioration des rendements des caféiers, et au-delà, le développement des cultures vivrières.
Elles sont complétées par la création de pépinières et une assistance financière avec la mise en place d’un système de prêts de fonds de roulement aux coopératives. William Warshauer, directeur général de TechnoServe résume ainsi la démarche: “Nous voulons aider les petits cultivateurs à créer une opportunité autour du café existant. Passer de l’idée: ‘J’ai deux ou trois plants de café dans ma cour’, à ‘Je peux vraiment gagner ma vie avec ça'”. Les prochains investissements serviront à financer les formations de perfectionnement et à entamer de nouveaux projets d’infrastructures.
Un environnement instable
Pour l’heure, le développement du programme dépend largement de l’évolution de la situation sur place. La situation politique au Soudan du Sud reste extrêmement volatile. Indépendant depuis 2011, le pays a connu près de 40 ans de guerre civile. Sur environ 12 millions d’habitants, plus de 50% vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les infrastructures sont inexistantes, le secteur agricole, peu productif, est essentiellement lié à une économie de subsistance et le contexte sécuritaire demeure problématique. La plupart des travailleurs de TechnoServe ont d’ailleurs dû quitter le pays en 2014, du fait des conditions de sécurité, ralentissant ainsi le projet.
Implantée au sud du pays, dans la région de Yei, l’une des moins impactées par le conflit, Nespresso a déjà investi 700.000 francs suisses (650.000 euros). L’entreprise prévoit d’injecter 2,5 millions supplémentaires pour continuer à soutenir les trois coopératives déjà créées, et intégrer davantage de fermiers. Ils sont actuellement 500, et l’objectif serait d’étendre le programme à quelques milliers de cultivateurs dans les dix prochaines années.
Des centres de traitement par voie humide permettant de nettoyer les fèves sans altérer les arômes ont été importés de Colombie. Ils permettent d’améliorer la qualité et de faciliter le travail des producteurs. Une fois les cerises transformées dans ces ateliers, elles sont stables et peuvent être exportées vers l’Ouganda, où elles deviendront du café vert, avant de rejoindre les deux centres de production en Suisse pour l’ultime étape de torréfaction. Le début des livraisons, avec 1,8 tonne, transportée par fret aérien en 2013 a constitué la première exportation de café de l’histoire du Soudan du Sud. Et également l’unique commerce significatif non pétrolier à destination de l’Europe.
Diversification économique
“Etant donné que l’économie du Soudan du Sud repose essentiellement sur le pétrole et l’aide étrangère, le café représente une opportunité de générer des revenus et du développement économique pour la population, rappelle William Warshauer, de TechnoServe. Notre but est de développer cette industrie et qu’elle puisse devenir une source d’exportations agricoles compétitive“. Il ajoute que les fermiers se sont montrés “très enthousiastes”. Le prix établi en concertation avec Nespresso est de 40% supérieur au prix local actuel. “Cette amélioration de leurs revenus les aide à construire un meilleur avenir pour leurs familles, à envoyer leurs enfants à l’école, et à pouvoir entreprendre”.
L’opérateur estime que l’argent gagné par les communautés locales sera redépensé entre cinq et dix fois, ce qui en fait un levier particulièrement efficace pour améliorer les conditions de vie à l’échelle d’une région. Aucune évaluation chiffrée n’a cependant encore été communiquée. L’impact se mesure pour l’heure à l’échelle micro-locale; les producteurs contraints jusqu’alors de voyager jusqu’à Khartoum dans le nord du Soudan pour vendre leur récolte économisent désormais en temps et en argent. Ces bénéfices, cumulés à l’augmentation des prix, ont déjà permis à certains d’acheter des motos ou d’agrandir leurs exploitations.
“Nous sommes convaincus que pour avoir vraiment quelque chose de durable, il faut que tout le monde profite de l’investissement“, analyse Daniel Weston. Le prix établi en concertation avec TechnoServe est ainsi de 40% supérieur au prix local actuel, et s’intègre donc dans une démarche de commerce équitable. Il est appliqué aux meilleurs graines de la récolte. Les autres seront écoulées sur le marché intérieur. Sans être bio, le produit respecte également les standards d’une agriculture soutenable: un minimum de chimie, un maximum de fertilisants organiques, afin de protéger les récoltes, les terres, les travailleurs et les sources d’eau. Ces bonnes pratiques sont cependant longues à généraliser et les volumes produits restent encore confidentiels.
Des séries éphémères
L’édition limitée Suluja, commercialisée exclusivement en France, est une météorite dont les ventes ne devraient pas durer plus de deux semaines. Produites à toute petite échelle, les capsules sont vendues 80 centimes pièce, c’est-à-dire plus cher que les grands crus, mais moins que certaines autres éditions limitées. Pendant quelques années encore, les volumes ne permettront pas de faire autre chose que des séries éphémères. Mais à moyen/long terme, Daniel Weston fonde “de grands espoirs” sur ce café. Composé d’un robusta dont les plants poussent encore à l’état sauvage, le café du Soudan du Sud fait partie des cultures ancestrales. Il est riche, profond, de texture épaisse, avec un parfum intense et une faible acidité. Un goût neuf pour les consommateurs, qui devrait attiser l’intérêt sur le marché très concurrentiel du café.
Désormais, pour grandir et développer la filière, Nespresso cherche à convaincre de nouveaux investisseurs de rejoindre le projet. L’entreprise compte s’appuyer sur cette première offensive commerciale afin d’attirer des financements supplémentaires de donateurs publics et privés, dont la Banque Mondiale. Le volet développement solidaire est à ce titre un excellent argument: “Notre impact sera forcément plus large si nous intégrons de nouveaux investisseurs que si nous continuons tout seuls”, ne manque pas de faire remarquer Daniel Weston.
Développé depuis 2003 avec l’ONG Rainforest Alliance, le programme AAA de Nespresso permet à l’entreprise de garantir un approvisionnement de qualité, tout en préservant l’environnement et en améliorant les conditions de vie des caféiculteurs et de leurs familles. Les trois piliers de cette approche sont la qualité, la durabilité et la compétitivité. Ainsi, l’entreprise accompagne les caféiculteurs grâce à des formations, une assistance technique et des investissements directs, pour améliorer la qualité et la productivité de leurs plantations.
Le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, l’Ethiopie, le Guatemala, l’Inde, l’Indonésie, le Kenya, le Mexique, le Nicaragua et le Pérou font partie du programme, soit plus de 63.000 fermiers. En Colombie, selon les résultats d’études menées par le CRECE, un organisme d’évaluation indépendant, le revenu des membres du programme était 46% supérieur à celui des autres caféiculteurs. D’ici à 2020, Nespresso s’engage à s’approvisionner à 100% en café provenant de son programme AAA pour sa gamme permanente de Grands Crus.