Imaginez des financiers, des comptables ou des communicants qui, le temps d’une journée, se mettent dans la peau d’un ouvrier du bâtiment. C’est l’idée du team building solidaire. Une solution qui offre une main-d’œuvre gratuite aux associations, tout en fédérant les équipes au sein des entreprises.
Depuis sa désaffection en 2011, l’hôpital Saint-Vincent de Paul (quatorzième arrondissement de Paris) a laissé place à de nouveaux occupants. Confié à l’association Aurore, une partie du bâtiment a été transformée en centre d’hébergement d’urgence et de stabilisation. En 2014, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a cédé la gestion de la quasi-totalité de l’endroit à l’association Aurore. Soit près de 50.000 mètres carrés à disposition, répartis sur plusieurs bâtiments. Mais, les quatre années d’inoccupation ont laissé leurs traces: usure, tags et détériorations ont largement endommagé les lieux.
Stylo à plume contre pinceaux
Pour rénover certaines parties, Aurore a alors trouvé une solution. C’est ainsi que le 2 octobre dernier, plus de 400 ouvriers un peu particuliers étaient présents pour rafraîchir une des ailes de l’hôpital. Sous leur combinaison de travail blanche se cachent les nouvelles recrues du prestigieux cabinet d’audit et de conseil Deloitte. Ce jour-là, costumes et tailleurs ont été laissés au placard pour “l’impact day”, une journée d’intégration façon chantier solidaire.
Déblayage de gravats, lessivage des murs, peinture, ponçage… Les jeunes doivent rénover en une journée près de 6000 mètres carrés. “Nous les avons divisés par groupe de dix. Chaque équipe s’occupe d’une zone définie“, explique Arnaud Fimat, improvisé contremaître pour la journée. Lui, c’est le cofondateur de la société coopérative et participative (Scop) Ça me regarde, dont la mission est de faire l’intermédiaire entre Aurore et Deloitte. Depuis 2012, sa Scop organise ainsi de nombreux chantiers solidaires pour les salariés. Une tendance qui trouve de plus en plus sa place chez les petites comme les grandes entreprises. On appelle cela le “team building” solidaire. Soit, une façon de souder ses équipes autour d’activités responsables.
Gratuit et efficace
Ces journées sont un véritable atout pour les associations qui bénéficient d’une main-d’œuvre motivée, sans avoir à débourser un sou, ni gérer les aspects opérationnels. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’Aurore tire avantage de ce type d’initiative. “Je ne sais pas si l’on peut parler de stratégie, car à chaque fois ce sont des organismes tiers comme Ça me regarde qui sont venus vers nous pour nous proposer ces chantiers, mais c’est vrai que c’est une solution intéressante qui nous permet de réduire nos coûts“, note Pascale Dubois, chargée de projet Saint-Vincent de Paul pour Aurore.
Plusieurs structures organisent de telles opérations. Le principe est toujours le même: l’organisme se charge de monter le projet et c’est l’entreprise qui prend en charge les frais de travaux, comme les achats. En juillet dernier par exemple, sous l’impulsion d’Unis-Cité, une centaine de collaborateurs de L’Oréal ont rénové un autre bâtiment de l’hôpital Saint-Vincent de Paul. À l’Archipel, autre lieu mis à disposition de l’association Aurore par l’Etat, les salariés de KPMG et de Coca-Cola ont, de la même façon, mis la main à la patte pour de menus travaux: peinture, tri de vêtements, rangement de bibliothèques… “C’est toujours impressionnant de voir ce qu’ils arrivent à réaliser en une journée, ils sont hyper productifs!“, remarque Pascale Dubois.
Fédérer par la solidarité
Si les entreprises sont de plus en plus friandes de ce type d’initiative, c’est qu’elles y trouvent leur intérêt. En plaçant sa journée d’intégration sous le signe de la solidarité, Deloitte souhaite montrer aux jeunes diplômés fraîchement recrutés que ses aspirations sont en phase avec les leurs. “On remarque que les étudiants sont très intéressés par la solidarité. Cela se voit lors des échanges que nous avons avec eux dans les forums ou lors de manifestations. En plus de cette appétence, il y a un passage à l’acte. Cela se manifeste sur leur CV lorsqu’ils mettent en avant leur activité bénévole et aussi parce qu’ils sont nombreux à avoir créé des associations dans leur école“, explique Félicitas Cavagné, associée responsable des recrutements chez Deloitte.
De nombreux rapports, notamment ceux de Deloitte, indiquent que les jeunes aspirent à travailler dans des entreprises plus éthiques. Pour attirer et garder les talents, celles-ci doivent donc asseoir leur image d’entreprise responsable auprès de leurs collaborateurs. Le tout, en faisant savoir que ces actions sont portées jusqu’aux plus hauts niveaux de la hiérarchie. Et le team building solidaire semble fonctionner. “Voir réellement les actions que mène l’entreprise cela prouve qu’il ne s’agit pas seulement d’engagements sur le papier. Retrouver des valeurs auxquelles je crois, c’est important, car cela montre qu’on n’est pas seulement là pour gagner de l’argent, qu’il y a un côté humain“, assure Tristan, 24 ans, sous les approbations de ses coéquipiers du jour, de chez Deloitte. “Quand on parle de journée d’intégration, on pense que l’on va faire du sport. Là, on s’amuse tout autant et c’est utile“, ajoute Chloé, 24 ans.
De son expérience, Pascale Dubois de l’association Aurore remarque aussi l’efficacité de cet outil: “Je me souviens d’une équipe marketing d’une PME qui avait des difficultés en interne. Cette journée de solidarité a très bien fonctionné, car ils s’en sont emparés comme un outil de management et de cohésion. À la fin de la journée, ils étaient tous vraiment contents. Plutôt que de faire du paintball, cela a plus de sens et c’est plus valorisant car ils créent quelque chose“.
Si ces chantiers sont souvent l’occasion de valoriser les actions responsables de l’entreprise, notamment au travers de leur fondation, difficile, cependant, de savoir si ces team building solidaires ont un véritable impact sur un engagement plus permanent des salariés. Nettoyer des graffitis ou déblayer des gravats reste avant tout amusant parce que cela ne dure que le temps d’une journée.