Vers une privatisation de l’aide publique?

La conférence internationale sur le financement du développement s’est tenue à Addis-Abeba (Ethiopie), du 13 au 26 juillet 2015.

Nous, chefs d’État et de gouvernement, nous sommes rassemblés au siège de
l’organisation des Nations Unies à New York, du 6 au 8 septembre 2000, à l’aube d’un nouveau millénaire, pour réaffirmer notre foi dans l’organisation et dans sa Charte, fondements indispensables d’un monde plus pacifique, plus prospère et plus juste
“. La déclaration du Millénaire, adoptée par les Nations Unies en 2000, fleurait bon l’idéalisme onusien. À l’époque, les États pensaient pouvoir résoudre tous les problèmes seuls et les entreprises n’avaient pas été associées à l’élaboration des fameux OMD, destinés à réduire la pauvreté dans le monde. Tout au plus, étaient-elles alors vues comme des financeurs de projets.

Quinze ans plus tard, alors qu’un nouvel agenda pour le développement se prépare, la donne a bien changé. Les entreprises sont devenues des partenaires à part entière du développement. Preuve de ce changement de mentalités: le secrétaire général des Nations Unies Ban-Ki Moon avait demandé à Paul Polman, P-DG d’Unilever d’intégrer son panel de haut niveau chargé de définir l’agenda post-2015.

Des intérêts privés pas toujours conciliables avec l’intérêt général

Mais alors que le consensus grandit autour de la participation des entreprises à la définition des Objectifs de développement durable (ODD), est-ce bien le rôle des entreprises de se préoccuper de développement? Par les biens et services qu’elles produisent, les emplois qu’elles génèrent, celles-ci sont aux avant-postes du développement économique.

Pour autant, même si elles sont de plus en plus nombreuses à se doter d’initiatives volontaires en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE), les entreprises poursuivent des intérêts privés, pas toujours conciliables avec l’intérêt général. Inciter le secteur privé à s’impliquer davantage dans le développement semble être par ailleurs un prétexte bien commode pour les gouvernements des pays développés (dont la France), qui se dérobent à leurs engagements de consacrer 0,7% de leur revenu intérieur brut (RNB) à l’aide publique au développement (APD).

Quelques mois avant la conférence internationale sur le financement du développement d’Addis-AbebaCoordination Sud, qui chapeaute 150 organisations de solidarité internationale, a publié son mémorandum destiné aux négociateurs français et internationaux. Elle met en garde les représentants politiques sur la “privatisation de l’aide publique” et sur la nécessité de réformer le système fiscal international. “Il est essentiel de s’assurer que les investissements privés soient mis au service du développement et de l’emploi“, alerte le texte, qui préconise d’imposer des normes sociales, environnementales et fiscales aux entreprises multinationales et à leurs filiales et de privilégier le tissu économique local dans les investissements.

Il faut vérifier que les entreprises payent bien leurs impôts dans les pays où elles opèrent, avec une obligation de transparence pays par pays, disposer de normes contraignantes pour encadrer la responsabilité sociale et environnementale des multinationales et responsabiliser les sociétés mères vis-à-vis de leurs filiales“, complète Grégoire Niaudet, du Secours Catholique, qui supervise la commission aide publique au développement et financement de Coordination Sud.

Vers une instance onusienne de coopération internationale?

Mais responsabiliser les acteurs économiques dans un système économique et fiscal chaotique serait pour le moins insuffisant. C’est pourquoi la coalition d’ONG plaide également pour un renforcement de la justice fiscale internationale. Et ce, afin de ne pas miner les efforts de développement. D’après un rapport du think tank Global financial integrity, les pays en développement ont perdu près de 1000 milliards de dollars (930 milliards d’euros) en capitaux illicites en 2012, soit davantage que les investissements directs et l’aide au développement cumulés. Ces flux illicites ont ainsi privé les économies de financements précieux.

Les pays riches misent pour l’instant sur le comité des affaires fiscales de l’OCDE pour réformer le système, ce qui exclut de facto de nombreux pays en développement du processus de décision. Il faut renforcer la place de ces pays dans la discussion des règles monétaires et fiscales internationales. Cela va de pair avec un renforcement de leur gouvernance“. Parmi les mesures proposées, Coordination Sud préconisait ainsi de créer une instance intergouvernementale onusienne de coopération internationale à Addis-Abeba.